Le burn out est aujourd’hui un état bien connu et mis en exergue par de nombreux spécialistes dans le monde du travail. Il peut toucher tous types de professionnels. Cependant, il y a un secteur où ce burn out représente un risque psycho-social particulièrement élevé, c’est le secteur humanitaire. Une étude réalisée par le Center for Disease Control d’Atlanta (2012) montre que ces travailleurs humanitaires sont particulièrement sujets aux problèmes psychologiques importants que ce soit sur le terrain ou lorsqu’ils sont rentrés chez eux. Cette étude indique, entre autre, que les travailleurs humanitaires présentent un risque accru de dépression et de burnout après leur mission et que ce risque ne diminue pas dans les 3 à 6 mois après le retour.
Les raisons sont multiples : un surinvestissement et un dévouement générés par la vocation de ces acteurs, des conditions de vie, de travail et de sécurité souvent difficiles, l’éloignement géographique voire l’isolement, les demandes et exigences du contexte, de l’organisation et des bénéficiaires, des rythmes de travail souvent déséquilibrés, des obstacles permanents à la réalisation des objectifs etc… Il y a un véritable décalage souvent entre la forte implication et les résultats escomptés ce qui génère frustration, fatigue chronique voire dépression.
Etudié depuis de nombreuses années dans ce milieu, le burn out est décrit comme constitué de trois composantes. La première est l’épuisement émotionnel caractérisé par une perte d’énergie, un épuisement physique et psychique. La personne perd sa volonté, elle devient apathique, lente, sans enthousiasme. La deuxième composante est la dépersonnalisation. Le travailleur humanitaire se désinvestit totalement de la relation. Il met l’autre à distance et vit son travail comme quelque chose d’étranger à lui-même. Enfin, cela s’accompagne du troisième paramètre qui est le sentiment de perte de l’accomplissement personnel. Le cercle vicieux est là. La personne a le sentiment de ne pas y arriver, d’être incompétente, elle perd totalement confiance en elle.
Aujourd’hui, de nombreuses organisations humanitaires prennent le problème au sérieux et instaurent des aides au retour, des systèmes d’appui psychologique lorsque la personne est déjà « cabossée » par le burn out. Il n’est jamais trop tard pour bien faire mais souvent le mal est déjà fait et cela laisse une trace indélébile pour le professionnel dans sa carrière future.
Certains décident même de quitter le secteur suite à cela. C’est dommage. Une politique de prévention serait probablement plus pertinente.
Rien n’est véritablement prévu pour anticiper, pour stopper le processus lorsqu’il commence tout juste à s’enclencher. Voici quelques remèdes préventifs à mettre en place facilement et soi-même sur le terrain.
Assurez-vous que vous avez un allié dans votre équipe. Cela peut être votre conjoint(e) si vous partez en famille mais si vous êtes seul(e), choisssez dans votre équipe un allié qui saura vous faire signe si vous commencez à dérailler. C’est le principe de la plongée sous-marine et du mal des profondeurs. Un plongeur ne descend jamais tout seul. Il a un coéquipier. S’il est par hasard touché par le mal des profondeurs, son coéquipier saura le faire remonter à la surface à temps. Faites-en de même. Faites confiance à l’autre et écoutez-le lorsqu’il tire le signal d’alarme.
Ajustez votre rythme et priorisez. Plus la mission est difficile et exigeante, plus il vous faudra dès le départ adapter votre rythme de travail. Evitez les journées à rallonge, les week-ends complets de travail d’autant plus si vous devez resterplus de 3 mois. Vous ne tiendrez pas la cadence. Mesurez vos efforts, prenez du temps pour vous reposer et soyez plus coureur de fond que sprinter. Priorisez vos tâches. Qu’est ce qui est important et urgent ? Posez-vous la question tous les matins en arrivant. Sachez déléguer ce qui est urgent et moins important. Evitez de rentrer dans la spirale infernale de la réactivité permanente et irréfléchie aux demandes de tout le monde.
Arrêtez avec le syndrôme de Mère Térésa. Vous n’êtes pas le sauveur de l’humanité. Evitez le sacrifice sur l’autel de l’humanitaire. Vous risquez malheureusement de presque prendre en grippe les mêmesbénéficiaires pour lesquels vous vous êtes battu(e) le jour où vous serez saturé(e) d’avoir trop donné, d’avoir voulu être partout en même temps. Prenez du recul et de la distance parfois et gérez au mieux vos émotions et votre affect. Cela passe entre autres, par desmoments d’échanges conviviaux avec d’autres collègues, des moments deplaisir gratuits voire futiles, rien que pour vous.
Acceptez l’imperfection et lâchez prise. Attention, tout est perfectible. Il n’est pas toujours évident de faire et de rendre un travail parfait d’autant plus dans certains contextes. L’idée est d’accepter le fait que l’on ne peut pas toujours rentrer dans les détails, on ne peut pas toujours tout relire trois fois, être derrière chaque salarié ou bénévole. Lâchez ce que vous pouvez lâcher. Ne demandez pas aux autres d’être vos sosies professionnels pour mieux refaire tout ce qu’ils font à votre convenance.
Ne soyez pas trop responsable ou parent nourricier avec vos équipes. Le secteur humanitaireregorge de managers très maternant avec leurs équipes. Ils protègent, font paravents, absorbent les erreurs. Cela les pousse même parfois à prendre la responsabilité à la place de l’autre, faire à sa place. Attention, posez deslimites. Vous allez vite tourner en boucle. Cela vous sera en plus reproché à un moment ou à un autre.
Restez connecté au sens. Souvent dans ces moments là, le professionnel croule sous les obligations, les tâches et perd un peu le sens de ce qu’il fait. Pourquoi suis-je là finalement ? Qu’est ce que notre action apporte ? Si vous êtes en capitale, prenez régulièrement un temps pour aller sur le terrain. Visitez vos équipes, rencontrez les bénéficiciares. Reconnectez-vous à ce qui compte pour vous, ce qui fait sens. Si vous êtes déjà au plus près des bénéficaires, essayez de vous focaliser un moment sur ce qui a déjà été fait, construit, ce qui marche, ce qui est positif.
Toujours dans le but de rester connecté au sens, identifiez vos talents et points forts. Qu’est ce que vous faites bien ? C’est souvent ce que vous aimez faire. Pendant un temps, prenez la liberté de faire uniquement les tâches que vous aimez faire, que vous faites bien. Cela vous rechargera naturellement en énergie. Faites-le régulièrement. Ne vous laissez pas embourber trop longtemps dans des actions uniquement laborieuses et pénibles. Revenez à ce que vous aimez.
Enfin, en dernier recours, alertez quand vous sentez que vous basculez. Essayez de parler à votre siège dès que vous avez moins d’entrain, moins envie, que vous êtes épuisé(e). Demandez un retour dans votre pays pour quelques jours, ou demandez de l’aide d’une tierce personne : psychologue ou coach. Tirez le signal d’alarme. Cela est très important avant que vous soyez obligé(e) de faire un retour anticipé. Parfois une semaine de vacances quelque part suffit à recharger les batteries ou une discussion avec un professionnel neutre peut vous permettre de prendre de la distance.
En mettant en place toutes ces actions de façon régulière et anticipée, vous saurez éviter les glissementset les situations inextricables. En bref, écoutez-vous et restez connecté(e) à vos envies et au sens de ce que vous faites.